Claire Leconte est chercheuse en chronobiologie, spécialiste des rythmes de l’enfant et de l’adolescent. Depuis plus de 30 ans, elle participe à la construction de projets éducatifs innovants avec les équipes pédagogiques, en partenariat avec les associations, les collectivités et les parents d’élèves.
Alors qu’un décret sur les rythmes scolaires devrait sortir fin juin, Claire Leconte se désole des orientations annoncées qui empêcheraient une nouvelle fois d’organiser la journée de l’enfant avec plus de souplesse.
Quel bilan faites-vous de la réforme des rythmes scolaires pensée et appliqué par l’ancien ministre de l’Education nationale Vincent Peillon, et que le gouvernement s’apprête maintenant à modifier ?
Depuis quatre ans que la réforme a été mise en place, malheureusement, il n’y a pas eu de véritable évaluation. En France, on lance toujours des réformes sans se préoccuper de les évaluer. En 2013, je m’étais opposée à cette précipitation au moment des ateliers de concertation. J’avais réclamé du temps pour construire cette réforme. On m’avait fait comprendre que les municipales arrivant en 2014, il fallait se dépêcher de la lancer. Or si le temps politique est toujours plus important que le temps de l’enfant, nous n’arriverons jamais à rien…
Si le temps politique est toujours plus important que le temps de l’enfant, nous n’arriverons jamais à rien…
Une évaluation scientifique nécessite de partir d’un niveau préalable de base qui permette ensuite les comparaisons une fois que la réforme a été mise en place. Autre option, constituer des groupes témoins. Dans le cadre de cette réforme, généralisée d’emblée, nous n’avons plus de point de comparaison puisque toutes les communes sont passées à 4,5 jours. C’est un vrai problème, ne restant plus que des analyses très subjectives. Chacun y va donc de son propre sentiment.
Le seul rapport qui évalue l’efficacité des nouveaux rythmes scolaires est celui publié en 2016 par l’inspection générale. Il montrait que les enseignants n’avaient pas vraiment profité de cette nouvelle matinée pour modifier leurs pratiques, mettant en danger les matières comme l’art plastique, la musique et l’éducation physique et sportive (EPS) qui ont perdu beaucoup d’heures.
Le gouvernement va permettre aux communes qui le souhaitent de revenir à la semaine de quatre jours. Les autres conserveraient la possibilité d’organiser la semaine sur 9 demi-journées avec des matinées qui ne dépassent pas trois heures trente. Qu’en pensez-vous ?
Je milite pour plus de souplesse dans l’organisation de la journée avec une semaine plus longue de cinq, voire six jours ! Ce que permettait le décret porté par Vincent Peillon et ne permettait plus le décret de Benoît Hamon. Nous avons probablement tort de parler de neuf demi-journées. C’est ce que j’avais écrit à Vincent Peillon dans ma lettre ouverte.
En coupant la semaine en demi-journées, cela limite en effet les choix pour « placer » correctement les temps scolaires. Il vaudrait mieux parler de semaine de cinq jours, ce qui a toujours été le cas dans les textes précédant le décret Darcos. On nous oblige ainsi à conserver des matinées d’un maximum de trois heures trente. Or cela est une erreur fondamentale, car tout le monde sait que le matin est un moment de plus grande disponibilité pour les apprentissages.
On nous oblige ainsi à conserver des matinées d’un maximum de trois heures trente. Or cela est une erreur fondamentale, car tout le monde sait que le matin est un moment de plus grande disponibilité pour les apprentissages.
C’est ce que j’ai démontré sur le terrain dans plusieurs collectivités comme à Lille depuis plus de 20 ans, à Miramas (25 583 hab. Bouches du Rhône), Vitrolles (34 236 hab. Bouches du Rhône), ou encore à l’Ile-Saint-Denis (7 293 hab., Seine Saint Denis). Je préconise des matinées plus longues, de 3h45, voire de 4 heures. Plus les matinées sont longues, mieux on maintient la disponibilité des enfants.
Cela permet aussi de travailler différemment, sans bousculer les élèves. On ne fait pas que des mathématiques et du français. On insère d’autres disciplines comme la découverte du monde, les arts plastiques, l’EPS, qui donnent des temps de respiration à l’enfant en faisant appel à la créativité, à l’agilité. Le coût cognitif n’est donc pas le même.
Bien sûr, dans cette configuration, les après-midis sont plus courts, d’une durée de deux heures dix, avec une pause méridienne de deux heures. Ainsi les enfants sortent chaque jour à 16h10. Et sur la semaine, ils ont trois après-midis d’enseignement et un après-midi de parcours découverte, autour d’un thème précis.
Je suis contre l’émiettement des activités périscolaires. Mieux vaut les concentrer sur un seul après-midi, plus court. Il n’a jamais été écrit que les communes devaient assurer 3 heures d’activités.
Pourquoi estimez-vous que la semaine de 4 jours est délétère pour les enfants ?
Les parents ont tendance à coucher plus tard les enfants les mardis, vendredis et samedis soirs. La semaine de quatre jours engendre des ruptures de régularité du rythme veille/sommeil qui fatiguent les enfants. La plupart des rapports s’appuient surtout sur ces effets-là.
Ajouter une demi-journée d’école atténue ces ruptures. Mais le mercredi n’est pas pour moi le meilleur jour. Mieux vaudrait privilégier le samedi matin et le rendre obligatoire. D’un point de vue pédagogique, c’est aussi un temps très intéressant. On en profite pour finaliser les travaux de la semaine. Le climat est différent ce jour-là. C’est un moment où l’on rencontre également plus facilement les parents.
Quand cette demi-journée supplémentaire est placée le mercredi, ce jour devient finalement très lourd pour les enfants avec l’école le matin et le centre de loisirs l’après-midi. Nous avons en revanche très peu étudié les effets de la semaine de 4 jours sur les résultats scolaires. Seul un rapport du ministère de l’éducation nationale de 2002 fait état d’une étude qui montre que les effets sur les résultats scolaires ne sont pas significatifs entre la semaine de 4 jours et celle de 4,5 jours.
Jean-Michel Blanquer, le nouveau ministre, a donné des signes d’ouverture pour allonger l’année scolaire. Cela vous paraît-il aller dans le bon sens ?
Oui, mais j’espère que l’on ne fera pas n’importe quoi à ce sujet. On rabâche à longueur de rapports qu’il faut découper l’année selon un rythme de sept semaines de travail et deux semaines de congés. Mais cela n’a jamais été prouvé scientifiquement ! Le pédiatre Guy Vermeil le dénonçait déjà en 1991, dans un article intitulé « Les rythmes scolaires en question ».
La France est le seul à avoir quatre fois deux semaines de vacances dans l’année !
Ce découpage convient aux travailleurs des plates-formes pétrolières ou aux marins au long cours, mais pas à des enfants qui ne changent pas de pays pendant les vacances. De fait, j’ai étudié l’année scolaire de 33 autres pays et la France est le seul à avoir quatre fois deux semaines de vacances dans l’année !
Publié le 20/06/2017 par Michèle Foin dans gazette.fr